Haro sur la corruption au Gabon

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Haro sur la corruption au Gabon

La lutte contre la corruption engagée l’an dernier par le président gabonais, Ali Bongo Ondimba, pourrait paradoxalement empêcher le pays de devenir le « hub » aérien souhaité par ce dernier.

Trois ans après une réélection contestée, en 2016, Ali Bongo Ondimba s’est enfin emparé de la lutte contre la corruption au Gabon, en lançant en novembre dernier une opération d’une ampleur inédite. Pour beaucoup, le président de la République souhaitait retrouver un leadership égaré, après un AVC survenu en octobre 2018, lorsqu’il fut contraint de déléguer certains de ses pouvoirs. Et quoi de mieux, pour réaffirmer son statut et reprendre les commandes, que de traquer la malversation financière dans un pays régulièrement pointé du doigt dans des affaires de détournement de fonds ?

En quelques semaines, des têtes sont tombées, dont certaines appartenaient à l’entourage très proche du chef de l’Etat. Dès le 7 novembre, l’ancien homme fort de la présidence gabonaise, Brice Laccruche Alihanga, est limogé de son poste de directeur de cabinet d’Ali Bonho Ondimba, pour se retrouver « simple ministre » aujourd’hui. Une vingtaine de personnes seront ensuite interpellées, dont l’ancien directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie, Renaud Allogho Akoue, et le directeur de la communication présidentielle, Ike Ngouoni – ex-bras droit de M. Laccruche Alihanga.

L’objet de ce tour de vis judiciaire ? 85 milliards de francs CFA (129 millions d’euros) qui se seraient envolés, ces deux dernières années, au sein de la Gabon Oil Compagny, une entreprise publique gérée par Patrichi Tanasa, proche de l’ancien directeur de cabinet présidentiel, comme le révèle Le Monde. C’est en tout cas ce qui transparait d’une enquête publiée dans le quotidien pro-gouvernemental L’Union, qui cible notamment la Dupont Consulting Compagny, « une société privée dont les administrateurs se trouvent être l’actuel ministre de l’Energie, Tony Ondo mba, et le frère de M. Laccruche, Gregory Laccruche ».

« Travailler pour l’intérêt général »

Tandis que la présidence de la République appelle depuis à dépolitiser l’enquête, Boris Rosenthal, le représentant de son porte-parole, estime qu’il y a clairement « une vendetta politique ». Comment interpréter cette dissonance au plus haut sommet de l’Etat ? Surtout que d’autres postes clés, comme celui d’Olivier N’Zahou, procureur de Libreville, la capitale, mais également dans les services de renseignement et de sécurité, ont été réattribués en urgence. Preuve de la sensibilité du dossier, Ali Bongo Ondimba a présidé un conseil extraordinaire de la magistrature, fin novembre – une première en dix ans.

Et que dire de la déclaration présidentielle du 31 décembre 2019, à l’occasion des vœux à la nation, où le président gabonais en a remis une couche. « Ces hommes et ces femmes que j’ai nommés à votre service doivent en tirer toutes les conclusions, c’est-à-dire réviser leur manière d’être, de fonctionner et revenir à l’essentiel : travailler pour l’intérêt général. Ces instructions, je les ai données à tous les responsables publics, à commencer par le Premier ministre. L’échec ne saurait être une option. La réussite, une obligation », a-t-il martelé.

Dès le 8 juin précédent, dans son premier discours post-AVC, Ali Bongo Ondimba avait réservé une place importante à la lutte anti-corruption, cette dernière étant qualifiée de « gangrène » par le président. « Celles et ceux qui s’adonneront à des pratiques répréhensibles seront tous sanctionnés, sans exception, avec une extrême sévérité, car ils tomberont sous le coup de la loi », avait-il prophétisé. Quelques semaines plus tard, un nouveau Code pénal entrait en vigueur – l’un des plus sévères en matière d’infractions financières jamais promulgué, d’après certains spécialistes. Pour l’instant, huit personnes ont été conduites en prison, après avoir été auditionnées par la justice, toutes proches de l’ancien directeur de cabinet d’Ali Bonho Ondimba, Brice Laccruche Alihanga.

Hub aérien de l’Afrique centrale

Si la mise à l’écart de ce dernier pose encore question, au Gabon, une chose est sûre : le président de la République semble déterminé à endiguer la corruption. Une volonté qui, paradoxalement, pourrait avoir quelques répercussions sur ses plans personnels, comme celui qui vise à transformer Libreville en hub aérien pour l’Afrique centrale. La raison ? Les autorités gabonaises ont dans leur viseur une filiale du groupe Monaco Resources Group (MRG), R-Logistic, chargée des services aéroportuaires au sein de l’aéroport de la capitale, après avoir exhumé certaines « opérations commerciales antérieures ».

La boite, « dont la tête de pont serait Axel Fisher, un ressortissant allemand condamné par la justice de son pays pour sa gestion d’une ancienne fonderie est-allemande »affirme La Tribune, serait très mal vue parmi plusieurs compagnies internationales – dont la multinationale DHL –, qui refusent « de confier leurs opérations à la filiale de MRG, préférant gérer eux-mêmes leurs opérations », indique le média.

La lutte contre la corruption au Gabon doit se faire à tous les étages de la société, et dans tous les secteurs d’activité. Elle est la pierre angulaire d’un redémarrage économique durable au Gabon. Elle a donc encore de beaux jours devant elle.

 

 

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